CE QUE LES RETOURS SUR MON TRAVAIL M’ONT APPRIS JUSQU’ICI
J’ai depuis quelques mois le privilège d’être beaucoup lu : mon travail est suivi par quelques centaines de milliers de personnes à l’heure où j’écris ces lignes. Ça me fait bien sûr très plaisir, mais ce n’est pas là-dessus que je vais m’attarder aujourd’hui ; il se trouve que parmi ces lecteur.ices, certain.es écrivent des commentaires et des critiques à propos de ce que j’écris, et c’est de cela que je vais essayer de discuter ici.
Ces critiques sont parfois positives, parfois négatives, et souvent extrêmement détaillées — plus que je ne l’aurais cru. Bien évidemment, je vais m’appesantir longuement sur les plus négatives. Non pas pour m’en plaindre (ça me fait bien sûr pas très plaisir mais ce n’est pas là-dessus que je vais m’attarder aujourd’hui non plus), mais parce que c’est celles qui ont suscité chez moi le plus de réflexion.
Il ne s’agit pas de répondre à ces commentaires, ou de m’en défendre, loin s’en faut. Simplement, pour la première fois de ma vie, je suis des deux côtés de la barrière : je peux lire les retours des lecteur.ices en sachant comment a été conçue l’œuvre qu’iels commentent. Je pense que c’est une grande chance, et j’en ai tiré deux ou trois réflexions sur la manière dont j’aborde les œuvres en tant que spectateur. Les voici.
Avant-propos
Il est hors de question que j’écrive ici que certains avis sont plus légitimes que d’autres, que certaines critiques n’ont pas lieu d’être, ou que certaines personnes ne devraient pas exprimer leur ressenti à propos d’une œuvre qu’elles ont reçue. Il s’agit bien d’une réflexion sur mon mode de réception des œuvres en général et de comment il a évolué — et évolue encore.
Nous ne comprenons pas comment les œuvres sont fabriquées
C’est le premier point que j’aimerais aborder : la plupart d’entre nous n’avons aucune idée de la manière dont est conçue telle ou telle œuvre. Je pense que ça s’applique aussi bien au jeu vidéo qu’au cinéma, et qu’aux arts en général.
Nous avons des idées préconçues sur la manière dont les choses sont faites, parce que ça nous semble évident, et nous nous trompons souvent.
Ils s’y sont mis à six !
Un exemple que je trouve amusant est d’entendre régulièrement dans la critique d’un film au générique duquel sont crédité.es six ou sept auteur.ices : « Ils s’y sont mis à six, et ils n’ont pas pu faire mieux ?! » Cette remarque tient au fait qu’en voyant six noms ensemble dans un générique, on imagine naturellement six personnes assises à une table et se renvoyant leurs idées ; c’est rarement ce qui s’est réellement passé. Dans la réalité, ces six personnes se sont bien souvent succédé, devant repartir du travail de l’auteur.ice précédent.e pour y ajouter ou y retrancher des éléments. Au final, le script n’est pas le résultat d’un travail d’équipe, c’est un patchwork créé par six personnes différentes, avec leurs sensibilités différentes, qui ont dû travailler en s’adaptant à de nouvelles directives et à de nouvelles contraintes : il n’y a aucune raison de penser que le résultat sera forcément de meilleure qualité que s’il y avait eu moins d’auteur.ices.
Au sujet des contraintes, justement…
Nous ignorons tout des contraintes
Ce que nous avons sous les yeux est un produit fini, et nous le jugeons en tant que tel. Mais nous ne savons pas dans quelles conditions il a été réalisé. Ni en combien de temps, ni avec quels moyens financiers et humains, pour commencer. Le fait est que même si nous le savions, ça ne nous en apprendrait pas beaucoup plus. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il est possible de faire avec un million d’euros. Un film ? Deux ? Mais quels films ? Avec quel.les acteur.ices, quel.les technicien.nes, payé.es combien ? Des films distribués comment, avec quelle cible ? Tout ce que je sais, c’est qu’en réalité, la question n’a presque pas de sens. Un plan d’un film peut coûter plus cher que tous les autres réunis, un épisode d’une série peut coûter le double d’un autre…
Et je n’aborde ici que les contraintes les plus évidentes, mais j’ignore toutes celles que je ne connais même pas ! Mon expérience récente m’a appris que beaucoup d’aspects d’une œuvre qui peuvent être critiqués ont en fait une raison d’être simple, liée à une contrainte que la plupart des spectateur.ices ou des joueur.euses ne peuvent tout simplement pas imaginer, qu’elle soit une contrainte de temps, une contrainte économique, ou technique… Typiquement, je suis soumis à une contrainte de temps, une contrainte haute et une contrainte basse sur le nombre de mots que j’écris par épisode, le vocabulaire que j’utilise… Et même mes propres thématiques fétiches, et mes propres points aveugles. Ces contraintes ont pour la plupart d’excellentes raisons d’être — si je mets 6 mois à écrire un épisode de 500 mots dont la moitié sont des insultes, ou des phrases incompréhensibles, on risque d’avoir des problèmes —, et certaines sont auto-imposées, mais elles influent mécaniquement sur le style, sur le rythme des épisodes, la présence ou l’absence de certains personnages, etc. L’œuvre finale n’est pas ce qu’elle serait si elle était publiée en un thread sur twitter, en épisodes quotidiens d’une page, ou en un seul tome de 2000 pages.
À ce propos, en ce qui concerne particulièrement les contraintes techniques, une remarque revient souvent…
C’est pourtant pas compliqué !
Il serait « simple » ou « de bon sens » d’apporter telle modification, d’implémenter telle fonctionnalité, de veiller à ne pas faire telle erreur. Encore une fois, je m’inclus sans honte dans le lot de ceux qui s’exclament régulièrement : « Tu vas pas me dire qu’ils pouvaient pas mettre un point de sauvegarde plus près du boss ?! Je dois tout me retaper ! » ou encore : « C’est quand même pas compliqué de faire gaffe à pas laisser traîner tous les techos dans un reflet de vitrine ! » Oui, je dis « techos » quand je veux me donner un genre.
En réalité, si, c’est compliqué. Quand je dis : « Ils pouvaient pas faire des ennemis avec une IA moins pourrie, là ? Ça doit pas être la mer à boire ! », le fait est que je ne sais pas coder une IA, ni l’intégrer, ni la tester, ni la débugger… En fait, j’utilise l’expression en n’ayant pas la plus petite idée de ce dont je parle. C’est très probablement plus compliqué que ce que j’imagine.
S’il y a bien une chose que j’ai apprise en travaillant pour un média dont je ne connaissais pas du tout les rouages avant d’y atterrir, c’est celle-ci : quand ça paraît simple et que ça n’a pas été fait, a priori, c’est que c’est compliqué pour des raisons que je ne peux même pas concevoir. J’étais bien loin d’imaginer le nombre de choses « simples » que j’aimerais intégrer dans les mécaniques du jeu, et qu’il est impossible de réaliser avec les outils et le temps dont nous disposons.
Une effroyable complexité
Pour avoir participé à la réalisation de quelques courts-métrages, et pour travailler au sein d’une équipe d’une trentaine de personnes, je suis assez certain de la réalité de ce que vais écrire : le simple fait que ces œuvres existent tient du miracle. Faire advenir un film ou un jeu, aussi court, aussi simple soit-il, est d’une effarante complexité.
On parle littéralement de dizaines de personnes, chacune détentrice de compétences spécifiques, qui travaillent ensemble pendant des mois, chacune essayant d’apporter sa vision à l’œuvre finale, chacune essayant d’apporter sa pierre à l’édifice, toutes n’étant pas d’accord entre elles… Et là, je parle d’un court-métrage de dix minutes tourné dans trois décors avec cinq acteurs.
Même en ayant participé au processus de création, il est pratiquement impossible de se rendre compte de l’étourdissante complexité de l’ensemble.
Qu’on s’entende : je n’essaie pas de dire que nous ne devrions pas critiquer les œuvres au prétexte qu’elles ont demandé beaucoup de travail. Ce n’est pas la somme de travail qui fait la valeur de quoi que ce soit. Ce que j’essaie de dire, c’est que quand nous recevons une œuvre, quelle qu’elle soit, nous sous-estimons toujours la galère que ça a été de la faire exister, et la myriade de choses qui ont échappé au contrôle de ses créateur.ices. Je pense que c’est quelque chose à garder à l’esprit quand on la reçoit.
Ce qui m’amène d’ailleurs naturellement à ma seconde partie, ces constats posés.
Nous devrions aborder les œuvres avec bienveillance (a priori)
J’ai découvert récemment que je prenais beaucoup plus de plaisir à regarder Everything Great About que Everything Wrong With. Pour faire simple, le principe de la première émission est de relever tous les aspects positifs d’un film, et celui de la deuxième d’en relever tous les aspects négatifs. Je préfère la première approche, et aborder les œuvres de manière bienveillante a priori me semble être plus bénéfique.
Je précise « a priori » parce qu’évidemment, il n’est pas question d’oblitérer totalement son esprit critique et seulement se forcer à tout trouver génial. Je pense simplement qu’être dans une disposition d’esprit bienveillante avant de recevoir l’œuvre a plus d’avantages que le contraire, et ce pour plusieurs raisons.
L’intelligence et le talent
Ça paraît bête, mais on oublie facilement que les œuvres que nous consommons ont été créées, elles n’apparaissent pas ex nihilo. Ce qui implique bien sûr que s’acharner sur une œuvre revient peu ou prou à dire à quelqu’un que c’est un.e nul.le, ce qui n’est pas très agréable, mais je ne vais pas tellement m’attarder là-dessus ; tout le monde sait que dire : « Les gens qui ont fait ça doivent être hyper cons pour avoir pondu un truc aussi pourri », c’est pas sympa.
Et si vous ne le saviez pas avant de me lire, vous savez dorénavant qu’en plus d’être pas sympa, penser que tout ce qui constitue une œuvre est en lien direct avec l’intelligence ou le talent — ou le manque d’intelligence ou de talent — de ses auteur.ices est absurde, puisque les contraintes auxquelles iels sont soumis.es nous échappent largement. Ainsi, supposer que nous-mêmes aurions fait mieux, ou qu’un autre artiste plus talentueux aurait fait mieux dans les mêmes conditions est assez osé, puisque nous ignorons tout des conditions de production, justement. Nous pensons souvent pouvoir faire mieux simplement parce que nous ne nous rendons pas compte de ce qui a réellement été fait, et dans quelles circonstances.
Un exemple que je trouve très parlant à ce propos est la manière dont nous jugeons les comédien.nes pour certaines de leurs performances. Marion Cotillard a été vivement critiquée pour sa performance dans une scène en particulier de The Dark Knight Rises de Christopher Nolan (2012). La performance en question est très en-dessous de ce à quoi la comédienne nous avait habitué.es, personne ne remet ça en question. Mais étrangement, beaucoup ont semblé en conclure qu’elle n’avait en fait pas de talent, ou pas autant qu’on le pensait. Et c’est vraiment curieux quand on y pense : tout le monde avait complètement admis que Marion Cotillard — quoi qu’on puisse penser d’elle par ailleurs — est une excellente comédienne ; elle a notamment reçu deux Césars et un Oscar… D’ailleurs, sa prestation dans le reste du film n’est pas vraiment remise en question. Clairement, cette performance n’a rien à voir avec son talent. Je ne connais pas la raison réelle de cette sous-performance, pour les raisons évoquées plus haut, mais je suis certain d’une chose : ça n’a rien à voir avec ses compétences en tant qu’actrice, et lier le résultat final à un manque de talent me semble être manifestement une erreur.
Parenthèse sur le surplomb
D’ailleurs, c’est anecdotique, mais aborder les œuvres et leurs créateur.ices depuis une position de surplomb nous met aussi dans l’incapacité d’apprendre de nouvelles choses. Typiquement, j’utilise parfois dans mes dialogues des expressions désuètes ou des tournures de phrase peu communes, parce que je les trouve charmantes ou par souci esthétique. Si en tombant dessus alors que vous ne les connaissez pas, vous les tapez dans un moteur de recherche, vous aurez appris quelque chose et pourrez à votre tour utiliser une expression désuète et charmante. Si vous partez du principe que puisque vous ne la connaissez pas, c’est que l’expression n’existe pas, et que je suis un imbécile qui ne sait pas écrire — alors que je me répète, mais c’est très littéralement mon métier —, d’une part vous n’aurez rien appris, et d’autre part cela vous confortera dans le sentiment que tout se perd, et que vraiment on embauche n’importe qui de nos jours pour écrire des trucs. Et c’est dommage.
Et attention, je ne dis pas que je ne fais pas d’erreurs : j’en fais plein, j’ai même écrit à ce sujet. Mais ça ne change strictement rien à ce que je viens de dire : en vérifiant que c’est bien une erreur de ma part avant de la souligner ou de s’en indigner, le.la lecteur.ice a tout à gagner et rien à perdre — exceptées quelques secondes.
Je ferme cette parenthèse et mets tout cela de côté, car il y a quelque chose de plus important que nous oublions souvent de prendre en compte.
Nous ne savons pas ce que nous voulons
Les œuvres existent parce que des gens les fabriquent, c’est une chose ; mais surtout, ces gens les fabriquent parce que c’est leur métier. Iels sont a priori plus qualifié.es que nous pour ce faire. Pas parce qu’iels sont plus intelligent.es ou talentueux.ses, mais parce qu’iels fabriquent quotidiennement les œuvres que nous recevons, et que de manière générale, iels savent ce qu’iels font.
Un commentaire qui est revenu assez souvent à propos d’un jeu sur lequel je travaille est que l’histoire n’est pas assez « paisible ». Il y a toujours du conflit, le personnage principal n’est pas assez soutenu par ses ami.es… Quand aura-t-elle enfin droit à une vie normale et sereine, à planter des choux en attendant de vieillir tranquillement aux côtés de l’amour de sa vie ?!
Il est bien normal de souhaiter le meilleur au personnage que nous incarnons — au demeurant, si on s’en fiche éperdument, on aura bien du mal à s’intéresser à ce qui lui arrive. Mais c’est bel et bien le fait que ça n’arrive pas, ou pas tout de suite, qui fait qu’il y a une intrigue. Personne ne jouerait à cinquante épisodes d’une série d’aventure fantastique s’ils consistaient tous à décrire une vie pastorale, sans ennemis et sans conflits. Nous avons tous.tes rêvé de ce que pourrait être la vie banale d’un élève banal de Poudlard, nous avons tous.tes souhaité qu’Harry passe une année tranquille, sans que tout le monde essaie plus ou moins de le tuer. Mais les moments de tranquillité relative nous ont marqué précisément parce qu’ils sont des pauses dans une intrigue menée tambour battant, parce que la menace rôde constamment.
Jouerions-nous vraiment plusieurs heures à un jeu qui consisterait à assister à des cours toute la journée ? Quand bien même ce serait plus reposant, et plus cohérent que les défenses du château ne soient pas une passoire à travers laquelle se faufilent sans mal tous les criminels les plus recherchés du pays ? J’en doute.
Et à ce propos, deux mots au sujet de la cohérence.
Les défauts n’en sont pas toujours
Nous jugeons les œuvres en fonction de paramètres arbitraires. Typiquement, leur cohérence ou incohérence narrative. Tel film est moins bon qu’un autre, puisqu’il est moins cohérent. Ce qui nous échappe, c’est que la cohérence, et l’incohérence, sont des outils de narration. Ni bons, ni mauvais en soi. La cohérence sert à ancrer la fiction dans un univers vraisemblable, et l’incohérence sert à gagner en efficacité dans le récit pour transmettre son message. Aucune œuvre n’est narrativement parfaitement cohérente, et aucune ne cherche à l’être.
Les films, les jeux sont exactement comme des tours de magie : il y a toujours un truc. Le but de l’auteur.ice est évidemment qu’il soit le moins voyant possible, de manière à ce que le.la spectateur.ice ne le remarque pas, et ne sorte pas de l’intrigue. Mais si nous cherchons les trucs, nous les trouvons. Nous sommes censés, en tant que spectateur.ices, ne pas les chercher activement — au moins dans la mesure où nous voulons être pris.es par l’intrigue.
C’est pour ça que je parlais plus haut de se mettre dans une disposition d’esprit bienveillante : en cherchant les « défauts », les trucs, on les trouve. Et en les trouvant, on se prive soi-même de sa capacité d’émerveillement, et on se blinde contre le message que l’œuvre essaie de porter. Mais ce n’est pas la faute de l’œuvre : c’est la nôtre. On a volontairement cherché à saboter sa propre expérience. Et y être parvenu est difficilement considérable comme une victoire : on s’est seulement gâché le plaisir en refusant de jouer le jeu.
Petite précision
Je ne dis pas que quand un élément d’intrigue, de design ou que sais-je nous saute à la figure et nous fait sortir de la fiction, nous devrions tout faire pour l’ignorer, et ne faire aucun reproche à l’œuvre. Il est de la responsabilité de l’auteur.ice que ça n’arrive pas.
Il est en revanche de notre responsabilité de spectateur.ice d’essayer de jouer le jeu, puisque nous savons qu’il y a un truc, personne n’essaie de nous le cacher, il n’y a pas de mensonge. En se mettant d’emblée dans une position sceptique, on se coupe de la fiction, au seul prétexte que c’est, justement, de la fiction.
À propos des paramètres arbitraires
Au demeurant, si c’est à nous de définir les paramètres selon lesquels nous jugeons une œuvre, il est à mon sens intéressant de se demander dans quelle mesure ils sont cohérents avec ceux que les auteur.ices ont utilisé pour la créer. Pour reprendre l’exemple de la cohérence narrative, elle n’est pas nécessairement la priorité d’un.e auteur.ice dans l’élaboration d’une œuvre donnée. Juger un clip musical là-dessus a assez peu de sens, à mon avis. Reprocher à un jeu d’aventure, type Assassin’s Creed, d’avoir des ennemis à l’IA sous-développée, qui attendent de se battre contre nous en faisant la queue, ce qui serait irréaliste, me semble aussi un non-sens. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas de jeu : dans la réalité, à un contre quatre, on perd à chaque fois. Si l’IA était aussi « bonne » qu’elle peut l’être, on ne pourrait juste pas sortir du premier niveau.
C’est pourquoi je proposerais d’attendre de voir où l’œuvre veut nous emmener avant de décider sur quels paramètres la juger, et ne pas se dire d’entrée de jeu : « J’ai hâte de voir si l’IA des ennemis est réaliste ! Si ce n’est pas le cas, je pourrai dire que le jeu est raté. » J’y reviens, mais les défauts n’en sont pas dans l’absolu : en l’occurrence, le manque de réalisme est parfaitement délibéré, c’est une fonctionnalité du jeu.
Conclusion
Je réalise en me relisant que je prône à la fois que nous sous-estimons l’importance de “la myriade de choses qui ont échappé au contrôle [des] créateur.ices [d’une œuvre]” dans ma première partie, et que “iels sont a priori plus qualifié.es que nous pour [les fabriquer]” dans la seconde. On pourrait facilement avoir l’impression qu’avec mon petit système, c’est toujours l’auteur.ice qui gagne, puisqu’on lui laisse toujours le bénéfice du doute. Et c’est à la fois tout à fait vrai, et pas du tout.
C’est tout à fait vrai parce qu’effectivement, en tant que spectateur, j’essaie de toujours laisser le bénéfice du doute à l’auteur.ice, en considérant que les choses que j’aime bien sont de sa grâce et que les choses que je n’aime pas ne sont pas de son ressort, ou que c’est moi qui les juge mal.
Mais pas du tout parce qu’il n’est pas question de gagner. Il n’y a pas opposition entre la personne qui crée l’œuvre et la personne qui la reçoit, la création et la réception sont les deux éléments de la coopération entre celleux qui la fabriquent et celleux qui la consomment. En regardant un film, en jouant à un jeu, je choisis de coopérer avec celleux qui l’ont produit, de manière à en tirer quelque chose. Ça ne fonctionne pas toujours, et il m’arrive de m’emmerder royalement, comme tout un chacun. Mais au moins, j’ai fait ma part.
Tout ceci n’est pas un ensemble de consignes à respecter, il n’y a pas de valeur morale à ce que j’écris. Simplement, j’ai passé plusieurs années, notamment pendant mes études, à relever systématiquement ce qui me déplaisait dans tout ce que je consommais, et à accorder beaucoup plus d’attention aux défauts des œuvres qu’à leurs qualités. Je lisais le blog de l’Odieux Connard, je regardais assidûment Everything Wrong With et Faux Raccord, et j’abordais tous les films et tous les jeux dans l’optique d’y trouver tous leurs problèmes. Je me suis bien amusé, et je pense que ça m’a aidé à comprendre certaines choses, mais je me suis récemment rendu compte que je passais de meilleurs moments en tant que spectateur, joueur et lecteur depuis que j’ai compris que j’ai aussi ma part du travail à faire, et qu’être consommateur passif ou chercher volontairement à relever tout ce qui me déplaisait dans une œuvre ne m’apportait rien. J’ai essayé de comprendre pourquoi, et décidé de partager l’état de ma réflexion ici.
Libre à chacun.e d’aborder une œuvre en se préparant d’emblée à la démonter ; à titre personnel, je trouve l’exercice beaucoup moins enrichissant que le contraire.
Post-Scriptum
J’ai parfaitement conscience que j’écris depuis ma position, à savoir celle d’auteur en plus de celle de spectateur, et que je n’ai pas un regard neutre sur le sujet. Comme précisé plus haut, tout ceci n’est que l’état de ma réflexion à un moment donné, et est amené à évoluer. Si vous avez quelque chose à ajouter ou à retrancher à ce qui a été écrit ici, si avez des remarques, sentez-vous libre de m’en faire part.
Je vous partage ici la première remarque qui m’a été faite à propos de cet article : j’ai tout au long de ce texte exposé mes réflexions sans les élargir à d’autres cadres que celui de la fiction, mais elles peuvent tout à fait s’appliquer à nombre d’autres domaines.
Après tout, j’ignore aussi bien le processus de production d’un sandwich, d’un café ou d’une chemise que celui d’un film ou d’un jeu vidéo, et la bienveillance a priori que je prône plus haut vis-à-vis des derniers pourrait parfaitement être étendue aux premiers, exactement pour les mêmes raisons.
Nous gagnerions probablement tous à interroger les paramètres que nous utilisons pour juger quoi que ce soit, aussi bien des œuvres que des discours, des objets ou des attitudes, et à essayer de mesurer l’étendue de notre ignorance.
Pour aller plus loin
L’incroyable émission Game Next Door a sorti une vidéo édifiante à propos de la création de jeux vidéos, sous-titrée Chaque jeu qui sort est un miracle, et je ne peux que vous en recommander le visionnage.
Les chaînes Cinema Wins et Gaming Wins m’ont fait reconsidérer mon avis sur beaucoup de films et de jeux, jusqu’à finalement modifier mon approche globale d’absolument tout le contenu que je consomme quand j’ai compris qu’il était au moins aussi amusant de traquer les qualités des œuvres (par ailleurs réussies ou pas) que leurs défauts : je vous encourage vivement à y passer du temps.
La chaîne YouTube Bolchegeek a consacré une émission au YouTube Ciné. Il y tient dans la première partie de la vidéo un propos qui rejoint celui que j’essaie de tenir ici, avant de l’élargir à des considérations beaucoup plus vastes, et c’est très intéressant.