DE L’IMPORTANCE DU THÈME
Penchons-nous aujourd’hui sur un enjeu majeur de l’écriture de scénario : l’importance du thème de votre récit. Le thème d’un récit est sa colonne vertébrale, pourtant beaucoup d’auteur.ices — plus ou moins expérimenté.es — ont tendance à s’en soucier tard, voire à ne pas s’en soucier. Nous allons voir ici pourquoi c’est — à mon sens — une erreur.
Nous commencerons par définir de quoi on parle exactement, à l’aide d’un exemple utile mais pas très intéressant. Suite à quoi nous discuterons plus largement de l’importance vitale des thèmes et messages dans la fiction. Enfin nous conclurons en observant quelques conseils concrets d’écriture, pour ne pas être trahi par son thème, ni le sous-exploiter.
Le thème, qu’est-ce ?
Commençons par définir ce dont nous allons discuter, afin d’être bien tous.tes d’accord.
D’abord, le sujet
Commençons par nous poser une question, à laquelle tout.e auteur.ice devrait pouvoir répondre : « De quoi mon récit parle-t-il ? » Si vous avez commencé à répondre en expliquant que votre récit parle d’un jeune homme pauvre qui va trouver un objet magique qui… Vous êtes passé.e à côté de la question. La question n’est pas de savoir ce que votre récit raconte, mais de quoi il parle. Il peut parler de la lutte des classes, des mérites comparés du vice et de la vertu, ou de l’importance du hasard dans une trajectoire de vie. Il peut parler d’absolument n’importe quoi. Ici, nous avons un sujet.
C’est un bon départ, mais ça ne va pas suffire à définir un thème. Les sujets, tout le monde les connaît. Parler d’un sujet, c’est faire un exposé. Quand vous construisez un récit, quand vous écrivez un film, vous ne vous contentez pas de “parler” d’un sujet. Vous donnez également un point de vue — idéalement le vôtre. C’est pour ça que les récits ne sont pas structurés comme des pages Wikipédia. Les pages Wikipédia n’ont pas de message, elles exposent un sujet. Elles n’ont pas de thème.
Du sujet au thème
Mais il se trouve que le monde est bien fait ; si vous avez choisi un sujet en particulier, et êtes disposé.e à écrire cent pages sur ce sujet, c’est probablement que vous avez déjà un avis à son propos Votre avis, votre point de vue : voilà votre thème.
Un exemple de sujet : le mensonge. Un exemple de thème : mentir, c’est mal.
En l’occurrence, le thème est d’une simplicité qui confine au vulgaire — mais c’est un exemple. Si le sujet est la réponse à la question : « De quoi parle mon récit ? », alors le thème est la réponse à la question : « Que dit mon récit ? »
Une façon très simple de définir le thème : le thème, c’est le message de votre récit. Et la fonction du récit, c’est de faire passer ce message. La fameuse structure en trois actes n’est ni plus ni moins que la structure d’une démonstration : la démonstration du thème. Tout le monde n’est pas d’accord avec cette dernière idée. Nombreux.ses sont les auteur.ices qui pensent que les récits n’ont pas vocation à faire passer des messages. Ils pourraient servir au pur divertissement ; à nous faire rire, à nous distraire, à nous faire vivre des émotions fortes. Je respecte cette conviction au même titre que n’importe quelle autre, mais je pense que ces auteur.ices ont tort.
Voici pourquoi.
Tous les récits ont un thème
Tous les récits véhiculent des messages, depuis toujours. Ces messages peuvent être débattus, ils peuvent être compris différemment en fonction des époques et des conditions de réception de l’œuvre ; ils peuvent évoluer au fur et à mesure du temps. Cependant…
Il y a toujours un message à tirer d’une histoire
Essayez de penser au film le plus bêtement divertissant que vous ayez vu ; un film qui ne cherche rien d’autre que vous faire rire ou vous montrer des scènes d’action toutes plus scotchantes les unes que les autres, sans jamais essayer de vous faire passer de message.
Eh bien ce film véhicule des messages. Le héros a-t-il gagné tout seul ? Est-il une sorte d’élu ? Le message est le suivant : il faut trouver homme providentiel pour nous guider. Ce n’est pas le collectif qui fait la force, ce sont les capacités exceptionnelles de certains individus. Si au contraire les héro.ïnes sont une équipe, qu’iels démontent un système et pas un.e méchant.e unique, le message est le contraire.
Je regarde en ce moment Game of Thrones (pas de spoilers). Dans la série, les personnages — et les spectateur.ices — sont concentré.es sur une seule question : « Qui va s’asseoir sur le Trône de Fer ? » Personne ne semble jamais émettre l’hypothèse que l’existence même d’un tel pouvoir est néfaste en tant que telle. Il s’agit simplement de trouver la bonne personne pour exercer ce pouvoir. Ici il y a bien un message : ce n’est pas le système qui est vicié, il fonctionne ; simplement certaines personnes sont trop faibles pour savoir gérer un tel pouvoir. Il n’est pas question d’imaginer une organisation sans chef, seulement de trouver le bon chef. C’est un message conservateur, en somme, tout ce qu’il y a de plus convenu.
Ce n’est sans doute pas l’intention des auteurs de faire de la propagande conservatrice, ils ne font simplement pas attention à un de leurs thèmes — ils en ont beaucoup d’autres à gérer, nous les pardonnerons sans mal. Ce qui nous mène à mon point principal, à mon avis fondamental :
Si vous n’avez pas de thème, vous avez un thème et vous ne le savez pas
Vous n’êtes pas objectif.ve. Moi non plus. Personne. Nous avons tous.tes un regard, que nous posons sur une certaine portion du monde, depuis une certaine position. Nous sommes largement ignorant.es de tout un tas de savoirs, de cultures, de trajectoires de vie, de paysages, de modes d’organisation des sociétés. Et pire, nous ignorons combien nous sommes ignorant.es.
Tous les récits portent un thème. Tout simplement parce que tous les récits sont écrits par des gens comme vous et moi, qui posent un certain regard sur le monde.
Ignorer cela, penser qu’on peut écrire un récit qui n’a pas de thème, c’est simplement penser que sa propre vision du monde est objective. C’est tomber dans un piège : écrire sans savoir de quoi on parle ; sans savoir ce que l’on est en train de dire. Savoir seulement ce que l’on raconte, sans chercher à savoir ce que l’on dit, c’est bien souvent dire n’importe quoi. En toute bonne foi, de surcroît.
On entend régulièrement les auteur.ices se plaindre d’être accusé.es de porter tel ou tel discours dangereux. Des discours racistes, homophobes, masculinistes, que sais-je encore… alors qu’iels ne l’ont pas voulu. Iels ont seulement voulu écrire quelque chose de drôle, ou quelque chose de touchant, iels n’ont pas voulu écrire un film porteur d’une idéologie. Je trouve cette défense carrément effrayante : ces personnes nous disent en toute bonne foi qu’elles ont écrit un discours de près de deux heures sans le vouloir.
Tout le monde peut se tromper ; ne s’être pas assez renseigné, n’avoir pas pris la peine de s’attarder sur certains détails. Néanmoins les auteur.ices ont une responsabilité. À ces auteur.ices, à vous et à moi-même, à toute personne susceptible d’écrire un discours de cent pages sans l’avoir voulu, je dis :
Voulez dire ce que vous dites
Et vice versa ; dites ce que vous voulez dire, ou votre thème vous trahira. La défense consistant à expliquer qu’on n’a pas voulu dire ce que le film semble pourtant dire me semble être une impasse. En fait, ce n’est même pas vraiment une défense. Elle revient à dire : « Certes, mon film est problématique, mais en même temps je ne me suis pas posé la question donc ce n’est pas de ma faute. » Elle revient à assumer qu’on a écrit un film, ou une série toute entière, sans jamais se demander ce qu’on allait mettre dedans. Au mieux, c’est de la négligence ; au pire, de la nonchalance. Nous sommes supposé.es réfléchir aux messages que nous portons. Si nous refusons la responsabilité des thèmes qui traversent nos œuvres, nous devons aussi refuser d’en être désigné.es comme les auteur.ices.
Et je m’inclus complètement dans tout ce que je dis : j’ai écrit, et j’écris toujours, des choses problématiques. Pour faire une vanne, pour m’arranger dans la narration, parce que je ne pense tout simplement pas que ça pourrait poser problème à qui que ce soit. Parce que je ne suis pas objectif, et que j’écris depuis une position donnée, avec son lot d’angles morts. Refuser de l’assumer, d’admettre que j’ai bel et bien porté un discours que j’aurais dû dénoncer, c’est rester bloqué dans cette position, refuser de tourner la tête, et m’accrocher à ces angles morts. La seule chose à faire, à mon avis, c’est de reconnaître son erreur, faire amende honorable dans la mesure du possible, dénoncer le discours qu’on a tenu, et prendre garde à ne pas recommencer.
Maintenant, c’est bien joli tout ça, mais je vous ai promis des conseils concrets. Alors quoi faire ?
Quoi faire ?!
En premier lieu, partez du thème, autant que faire se peut. Si vous connaissez votre thème suffisamment tôt dans l’écriture, vous aurez moins de chances d’en voir un autre émerger malgré vous. Idéalement, vous pouvez même avoir d’emblée des thèmes secondaires en tête. Les thèmes secondaires ne seront pas nécessairement structurants pour le récit, mais peuvent aider à construire les personnages, par exemple.
Typiquement, si mon film ne parle absolument pas de féminisme, mais que c’est un sujet qui me tient à cœur ; avec un thème secondaire comme : « Les femmes ne sont pas fondamentalement différentes des hommes », je prendrai garde à écrire de nombreux personnages féminins, différents les uns des autres, avec leur propres motivations, leurs propres enjeux, etc.
Ainsi, plus tôt vous aurez identifié/choisi votre thème principal et vos thèmes secondaires, plus vous serez blindé.e dans l’écriture concernant les messages que vous allez faire passer.
C’est toujours ça de pris, mais il y a mieux ! Partir d’un thème — ou lier le plus rapidement possible un thème à vos idées d’histoires — a également des intérêts pratiques. Revenons donc vers quelque chose de plus pragmatique : le thème, c’est..? Je l’ai écrit en introduction, mais on ne triche pas, on essaie de se rappeler…
Le thème est la colonne vertébrale du récit
Bravo à celles et ceux qui se le sont rappelé. Maintenant, quels avantages cela nous offre-t-il ? C’est très simple : tout doit avoir un lien avec le thème. Les personnages doivent avoir différents points de vue sur le thème, et leurs arcs doivent explorer et démontrer ce thème. Si le thème est — de nouveau — « mentir, c’est mal », alors je dois avoir un personnage qui ment et qui le paye, un personnage qui ne ment pas et est récompensé, un personnage — idéalement le protagoniste — qui ment, le paye, puis gagne en disant la vérité ou en refusant de mentir… Bien sûr encore une fois ce thème est très simple, et ne permet pas de nuances — c’est pourquoi personne n’aime Kant. Plus votre thème sera complexe, plus il sera facile d’explorer différentes approches au travers des personnages.
Là où cette idée facilite votre travail en tant qu’auteur, c’est que les arcs des personnages se dessinent d’eux-mêmes en fonction du message que vous voulez exprimer. De même les personnages qui n’ont pas de rapport avec un des thèmes sont peut-être en trop, et le récit gagnerait sûrement à se passer d’eux… Et il en va de même pour les séquences, et les actes : si votre récit est une démonstration d’un thème, alors le déroulement de l’intrigue suit le déroulement de cette démonstration ; ce qui ne s’y rapporte pas est peut-être inutile, et vous avez une indication forte sur le sens à donner à chaque séquence.
Vous n’êtes pas seul.e
Si vous ne savez pas quel est votre thème, si vous craignez que votre récit porte des messages malgré vous, la solution est très simple : faites-vous relire. Nous ne voyons les choses que depuis notre position, mais nous ne sommes pas tous dans la même position. Partager votre travail avec d’autres personnes, auteur.ices ou non, ne peut que vous être bénéfique de ce point de vue.
Il est très difficile de voir ce qu’on laisse dans ses angles morts — c’est même la définition d’un angle mort —, alors prenez le temps d’obtenir le point de vue de quelqu’un qui n’a pas les mêmes que vous.
Brève parenthèse avant la fin
À ce stade on peut se poser la question : en cas de conflit entre mon histoire et mon thème, que choisir ?! À ceci je répondrais — mais ça n’engage que moi — que l’histoire sert le thème, et pas l’inverse. En sus, sacrifier le thème pour une scène cool, ou drôle, affaiblit à mon avis la totalité du récit.
Surtout, le travail d’auteur est souvent un travail de deuil : enlever des personnages auxquels on s’est attaché, retirer des scènes qu’on aime bien… Le thème me semble être un bon arbitre pour discriminer ce qu’il faut garder de ce dont on doit se séparer.
Conclusion
Pour finir, j’espère que cet article vous a été intéressant, et vous donnera du grain à moudre.
Ne prenez pas ce que je dis au pied de la lettre, lisez Yves Lavandier, écoutez Baptiste Rambaud, regardez Wisecrack et The Take.
Aimez les récits que vous aimez, soyez attentifs à ce qu’ils vous disent autant qu’à ce qu’ils vous racontent, racontez ce que vous voulez raconter, tout en disant ce que vous voulez dire, et tout ira bien.