HIGH CONCEPT : FORCES ET FAIBLESSES

Dans un autre article, je partageais avec vous mon avis concernant le thème. À savoir, en gros, que tout le scénario doit tourner autour. Aujourd’hui nous allons nous pencher sur un autre élément qui intervient au tout début de l’écriture : l’idée. Plus précisément, il va s’agir d’explorer les avantages et les inconvénients du high concept.

Le high concept : qu’est-ce ?

Commençons par définir un peu de quoi on parle.

Vous en avez déjà croisé

Vous connaissez probablement beaucoup de gens qui ont des idées de film. Personnellement, j’en rencontre à peu près à chaque fois que je participe à un évènement social. Vous-même avez probablement des idées de scénario, de roman, de BD…

La plupart du temps, ces idées ne sont pas à proprement parler des idées de scénario : ce sont des idées de high concept. Le high concept, c’est aussi la réponse que vous donne un néophyte quand vous lui demandez ce que raconte un film. Un jour sans fin de Harold Ramis (1993) ? L’histoire d’un type qui revit encore et encore la même journée. Inception de Christopher Nolan (2010) ? Leonardo DiCaprio voyage dans les rêves !

Mais ce n’est pas cela que ces films racontent : c’est seulement leur dispositif. Remarquez que les high concepts de Un jour sans fin et de Edge of tomorrow de Doug Liman (2014) sont les mêmes. Pour autant, ils racontent deux histoires très différentes, dans des genres très différents. On peut dresser le même genre de parallèles entre Inception et ExistenZ de David Cronenberg (1999), par exemple : le concept des réalités imbriquées est le même, mais les films sont très différents par bien des aspects, et n’appartiennent pas au même genre.

On note aussi que la promotion des films à high concept tourne généralement autour du concept, justement.


Le high concept n’est pas forcément lié à l’intrigue

Les deux exemples que je vous ai donnés au-dessus ont un rapport avec ce qui se déroule dans le film, mais ce n’est pas forcément le cas. Le high concept de Memento de Christopher Nolan (2000) est d’être monté à l’envers, par exemple. On pourrait sans doute aller jusqu’à dire que le high concept de The Artist de Michel Hazanavicius (2011) est d’être un film muet en noir et blanc sorti en 2011.

Si l’intrigue de ces deux films est en lien avec leur concept, ce dernier est pour autant avant tout un choix esthétique : Memento raconte une enquête relativement classique, et on peut tout à fait imaginer raconter l’histoire de The Artist dans un film sonore en couleurs. Le cadre de l’intrigue est d’ailleurs similaire à celui de Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly (1952), qui est une comédie musicale — en couleurs.


Tous les films ont un high concept ?

Cela dépend d’à quel point vous étendez votre définition personnelle, mais à mon avis, non. La plupart des comédies romantiques s’en passent fort bien. Les films policiers également : si l’enquête est intéressante, et/ou les personnages attachants, cela peut largement suffire. Les films d’action s’en passent aussi assez facilement. Untel va venger sa femme/sa fille/son chien, Untel va faire la guerre dans tel pays… Ces modèles sont extrêmement banals, mais tout à fait à même de donner de bons films.

Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’un high concept n’est absolument pas indispensable pour écrire une bonne intrigue.

Un mot sur le twist final

Les films qui se terminent sur un twist sont un cas particulier de films à concept. Tout le film est construit autour du twist, il est au cœur de son concept, mais il doit rester caché jusqu’à la fin. Il serait assez contreproductif d’organiser la promotion d’un film autour de son twist final. Il est en revanche possible de l’organiser autour du fait même qu’il y ait un twist. D’aucuns disent que c’est une mauvaise idée : je vous en laisse juge. Notez tout de même que quand le.la spectateur.ice cherche le twist, bien souvent iel le trouve.

Quels sont les points forts du high concept ?

Si autant de films partent d’un high concept, il doit bien y avoir une raison. Il pourrait même y en avoir plusieurs.

Premier bon point : c’est facile

J’écrivais plus haut que je rencontre régulièrement des gens qui ont des idées de high concept. J’en tire la conclusion suivante : il est relativement facile d’avoir des idées. À mon avis, il est même plus facile d’avoir une idée de concept qu’une idée d’intrigue. Cette idée peut être une image forte — voyez l’affiche de Upside down de Juan Solanas (2012) — ou le retournement d’une convention — « Et si on racontait l’histoire, mais à l’envers ?! » — par exemple.

Ainsi, si vous êtes en panne d’inspiration, chercher d’abord un high concept peut-être un exercice amusant et fécond pour démarrer. Si vous couplez votre concept à un thème fort, vous avez déjà de bonnes bases. Toujours pas d’intrigue, mais un guide solide pour la développer.


Second bon point : c’est facile à vendre

Entendons-nous : quand j’écris « facile à vendre », je ne dis pas que vous vendrez facilement votre film à un.e producteur.ice, ni votre roman à un.e éditeur.ice.

En revanche, les films à concept sont beaucoup plus faciles à pitcher. De fait, si votre pitch ressemble à : « C’est l’histoire d’un gars qui cherche le meurtrier de sa femme. » vous ne vous distinguez pas vraiment. Alors qu’avec un pitch comme : « C’est l’histoire d’un gars qui cherche le meurtrier de sa femme, MAIS À L’ENVERS ! » vous sortez du lot.

Il est plus facile pour votre auditoire d’identifier votre film, et même de s’y projeter. Il peut même commencer à réfléchir à comment il va le vendre au public. N’oublions pas que si votre cible est un.e producteur.ice, sa cible à el.lui est le grand public.


Dernier bon point : ça donne l’air intelligent

Avoir des idées — a fortiori si elles sont bonnes — vous donnera l’air de quelqu’un d’imaginatif, et pourquoi pas de génial. Avoir des connaissances en dramaturgie, savoir faire la différence entre un séquencier et un traitement ou entre Scrivener et Final Draft vous donnera l’air d’un gratte-papier. Dans les évènements sociaux que j’évoquais plus haut, si je dis que je suis auteur, la plupart des gens me répondent quelque chose de l’ordre de : « Tu dois avoir plein d’idées ! » Quand j’explique que non, pas tellement, je lis la déception dans les regards. À mon grand désarroi, je suis plus souvent rangé dans la catégorie des gratte-papiers que des génies.

Mais là n’est pas la question

La question est la suivante : si les high concepts ont des avantages, ne peut-on peut imaginer qu’ils ont aussi des inconvénients ?

Et la réponse en est simple : si, on peut.

Alors où est le problème ?

Partir d’un high concept amène son lot de facilités, mais quelques pièges sont à garder à l’esprit.

Votre concept N’EST PAS une histoire

Je l’ai déjà dit, mais je le répète parce que je pense que c’est le plus grand piège du high concept. Le concept est excitant, il est plaisant, on aime avoir trouvé un concept. Mais souvent on peine à prendre la mesure du peu de chemin parcouru vers un scénario abouti. Une fois qu’on a son concept, il reste tout à faire. Peaufiner son concept, imaginer toutes les situations qu’il pourrait impliquer est grisant. Mais c’est à mon sens un danger. Après avoir pris beaucoup de temps à réfléchir à son concept, passer au développement et réaliser l’ampleur de ce qu’il reste à faire peut être extrêmement décourageant.

De tous les gens que vous connaissez qui ont des idées géniales de film ou de roman, combien en connaissez-vous qui ont ne serait-ce qu’une v1 à faire lire ? Je n’ai absolument aucun chiffre, mais mon estimation personnelle au doigt mouillé serait une proportion très faible.


Votre histoire EST votre scénario

Deuxième piège, dans l’ordre chronologique. Vous êtes passé.e au stade du développement, et commencez à mettre votre histoire en forme. Vous allez certainement vous trouver face à plusieurs situations de dilemme, où votre histoire et votre high concept entrent en conflit. Mais alors, quoi choisir ? Sacrifier la cohérence du concept sur lequel vous avez passé tant de temps ? Bricoler un peu le concept pour que ça passe, en espérant que ça ne se voit pas trop ? En théorie, vous devriez privilégier votre intrigue, mais vous vous êtes attaché à votre high concept. Vous l’aimez bien, vous en êtes fier.ère, on vous a fait des compliments dessus… On a même dit que vous étiez génial.e !

C’est un dilemme cruel, qui vient d’un problème fondamental du high concept : il n’est pas une histoire.

Quand on s’en rend compte, il est trop tard

Si vous n’arrivez pas à évaluer a priori la robustesse de votre high concept, vous allez au-devant de grandes déconvenues. Seulement, il est possible que vous ne vous en rendiez compte que tard. Quand on a investi beaucoup de temps dans le développement d’un concept puis d’une intrigue, il est très désagréable de s’apercevoir que l’un ne suffit pas à l’autre.

Si vous avez couplé votre high concept à un thème, il peut se passer la même chose. En explorant son concept à travers son intrigue, on peut se rendre compte — trop tard — qu’il contredit le thème. C’est une véritable catastrophe. Doit-on alors renoncer à son thème, ou le travestir, ou pire, le renverser ? Je ne suis pas pour.

Alors, comment éviter de se retrouver dans une telle situation ?


Peut-on évaluer un high concept à priori ?

Pour que les choses tournent mal, il faut que le développement de votre concept ait un de ces trois défauts majeurs : qu’il soit trop pauvre, qu’il soit trop compliqué, ou qu’il soit inutile.

Si votre high concept n’est pas assez riche (ou si vous n’avez pas su en tirer tout le potentiel) il ne suffira pas à nourrir l’intrigue. Le ventre mou vous guette alors ! Si vous vous retrouvez à devoir « remplir » le deuxième acte de votre scénario parce que votre high concept ne vous a fourni qu’un point de départ et que vous avez déjà une idée de résolution, votre film risque fort de s’essouffler dans sa deuxième partie, et d’ennuyer le spectateur.

À l’inverse, un concept trop compliqué peut aussi se retourner contre vous. Le high concept amène des règles et des contraintes. Il se peut tout à fait que vous vous retrouviez bloqué.e à un moment de votre histoire en réalisant que ces règles impliquent des impossibilités logiques ou des contradictions. Un bon moyen de se retrouver coincé dans ce genre de situation est qu’une scène de votre scénario soit indispensable, mais contrevienne aux règles que vous avez établies plus tôt. Vous pouvez par exemple voir un high concept dérailler en milieu de film dans L’effet papillon de Eric Bress et J. Mackye Gruber (2004).

Enfin, et c’est à mon avis un moindre mal, le high concept peut tout simplement être inutile. Placer une intrigue dans un univers très différent du nôtre peut ne rien y changer. Le.la spectateur.ice peut sortir déçu.e d’un film s’iel a le sentiment que sa promesse n’a pas été tenue. L’idée de remplacer l’argent par du temps dans Time Out de Andrew Niccol (2011) par exemple a été décrite comme insuffisamment exploitée. À quelques rares scènes près, le film fonctionnerait exactement de la même manière si c’était bien d’argent et non de temps dont il s’agissait. Le concept apporte une promesse, mais n’est jamais exploré à fond, à part éventuellement comme une métaphore un peu convenue : « Le temps, c’est de l’argent. »

Un autre mot sur le twist final

Tout ce que j’ai écrit ici s’applique aux twists. Mais le twist est sans doute encore plus compliqué à gérer. D’abord parce qu’il ne bénéficie pas de certains avantages du high concept : il ne peut pas aider à vendre le film, et ne vous fournit pas nécessairement de point de départ. Il est donc aussi dangereux que le high concept, sans être aussi fécond. De plus, le fait même d’inclure un twist final dans un film invite le.la spectateur.ice à le voir plusieurs fois, et à le scruter.

Des incohérences dans un high concept peuvent être pardonnées par un.e spectateur.ice indulgent.e. Mais un twist incohérent est souvent vécu comme une véritable trahison. Vous devez donc être absolument irréprochable de ce point de vue, et c’est un exercice qui peut être périlleux. Notons aussi qu’un film à twist se repose énormément sur celui-ci. Si le twist est raté, le film est raté. On entend très rarement : « Le twist était complètement nul, mais les dialogues étaient drôlement bien tournés, je reverrai ce film avec plaisir ! »

En conclusion

Que retenir de tout ceci ? Eh bien, comme à mon habitude, j’aurais tendance à vous recommander de faire ce que vous voulez. Si vous avez un high concept, il serait dommage de ne pas s’en servir. Prenez simplement garde à ne pas tomber dans l’un des pièges que nous avons vus : je peux dire d’expérience que c’est franchement désagréable. Votre motivation est précieuse, et la perdre en réalisant que votre high concept vous a piégé.e serait dommage.

Comme d’habitude aussi, ne vous contentez pas de mon avis sur la question. Il existe probablement une vaste littérature dédiée à l’éloge du high concept : n’hésitez pas à vous y plonger, et à me recommander vos références.